Texte de Marion Wagschal, tiré de notre numéro 159.

Je suis née en 1943 à Port-d’Espagne, Trinité-et-Tobago, une ancienne colonie britannique et le refuge de mes parents qui fuyaient l’Allemagne nazie. À ce jour, mes souvenirs d’enfance sont la source de plusieurs de mes œuvres.

La vision poétique de Tropique du Capricorne évoque l’enfant que j’ai été mais aussi l’impulsion qui traverse mon travail. Les œuvres présentées en ces pages sont le reflet de mes perceptions et de mes intuitions quant à la vie, le sexe, la famille, les amitiés, la maladie, la vieillesse, l’empathie et le mal tel que décrit par le judaïsme.

J’aime observer. Captivée par ce qui m’est donné à voir que j’en oublie de tendre l’oreille. J’ai passé mon enfance à la plage avec ma mère, entourée de son petit cercle social formé d’expatriées. Je me balançais dans la mer des Caraïbes, à distance. Fascinée et exclue par choix. J’observais avec attention la complexité des dynamiques qui rythmaient les relations entres adultes. J’étais et je suis toujours curieuse de tout ce qui est communiqué de manière subliminale, liminale. Ce que révèle le non-dit. Il s’agit là d’un langage visuel subtil qui est maintenant familier à tout agent de sécurité occupant un poste-frontière. La surveillance dont nous faisons l’objet est si envahissante qu’elle rend le moindre geste suspect. En tant qu’artiste, je privilégie plutôt un regard empathique qui respecte le sujet sur lequel je pose l’œil.

Je suis peintre d’une existence charnelle imprégnée de songes et d’émois. Le présent et le passé s’entrechoquent dans un tourbillon d’images tirées de l’actualité, de conversations, de fables et du canon de l’histoire de l’art. Je dessine et je peins des mondes où le public et le privé se côtoient et le personnel y figure de manière insoupçonnée. Ponctués d’irritants, ces mondes en apparence lisses sont une manière de remédier à l’absence de l’Autre et à la réduction au silence de l’expérience féminine.

La peinture est un mode d’expression sensuel qui met en tension la beauté et la vérité, si douloureuse soit-elle. En tant que peintre vieillissante, je souhaite que mes œuvres soient à la fois fortes et fragiles, opérant comme une allégorie du temps qui fuit. L’inquiétude me ronge et me demande le mot de la fin. Dans l’autoportrait Ce que l’eau m’a donné (1938), Frida Kahlo se peint dans une baignoire, entourée des épisodes marquants de sa vie. Quant à moi, l’eau m’a donné l’art, et la possibilité de supporter « la fronde et les flèches d’une outrageante fortune [1] ».

— Marion Wagschal, traduit de l’anglais par Béatrice Cloutier-Trépanier.

[1] William Shakespeare, Hamlet (1601), acte III, scène i. Traduit de l’anglais.

 

Marion Wagschal travaille la peinture et le dessin comme un journal où s’entremêlent réalité, fables et fictions. Parmi ses expositions marquantes, notons Femmes artistes. L’éclatement des frontières, 1965-2000 (2010) au Musée national des beaux-arts du Québec et Art et Féminisme (1982) au Musée d’art contemporain de Montréal.

En 2014 et 2015, son travail faisait l’objet d’une exposition rétrospective présentée au Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse puis au Musée des beaux-arts de Montréal. Des expositions solos lui étaient dédiées à la Galerie de la Maison du Canada, Haut-commissariat du Canada au Royaume-Uni en 2016 et au Musée d’art de Joliette en 2017.

Ses œuvres font partie de nombreuses collections, dont celles d’Hydro-Québec, du Mouvement Desjardins, du Musée d’art contemporain de Montréal, du Musée des beaux-arts de Montréal et du Musée national des beaux-arts du Québec. Elle vit et travaille à Montréal.

 

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