[…] dire ma pauvreté d’être et ma pauvreté de pensée, bref mon insuffisance humaine
— Gaston Miron
Lettre à Gilles Leclerc, 18 janvier 1965 [1]

En ouverture de rideau, le conte de Laurance Ouellet Tremblay fait exploser des couleurs sur fond de neige et relie art et nature sauvage d’une manière imprévue, afin de rendre un lieu habitable. Est-ce l’influence de l’hiver? Est-ce l’effet de l’espace blanc, là où l’écriture — ou le trait — sait « faire apparaître » le vide et le plein comme le dit bellement Dominique Chalifoux des dessins en noir et blanc de Renée Lavaillante?

Mathieu Bélisle invite à voir en l’art ce qui, dans l’insuffisance de lumière, « mène à la vraie grandeur »; il en appelle à «Un peu de lumière», à une lumière pauvre, en somme. Car les lieux sont marqués par leur relation à la lumière mais aussi à son envers et ils nous modèlent. Les « portages » déclinés par Mathieu Villeneuve sont des sauts dans le temps autant que dans l’espace, d’une ombre à l’autre; les bars, ruelles et lits de la tournée sont autant de coulées dans la nuit chez Hector Ruiz. Si la lumière « remet au silence docile » alors qu’« une vie est en mal de lieu propre » dans le poème de Bruno Giffard, le personnage toutes paroles et griffes dehors placé au centre du poème de Phara Thibault et les amants spéculaires de Nicholas Giguère n’ont d’espace que celui du désir, accepté/refusé. Dans les vies examinées qu’offrent les poèmes, la lumière tient à sa part d’ombre.

Mais la lumière peut aussi être pure réflexion: être ce dans quoi on se meut pour avoir le sentiment d’exister. Ainsi du récit fait d’un film dans le texte de Claudine Potvin, la vie s’y confondant avec les images redéployées dans la lumière de l’écran, où le désir « exhume au moment où la caméra vient le saisir»: sans part d’ombre, sans sous-bois. Le théâtre permet aussi ce jeu entre un dehors exhibé et un dedans que les personnages tentent de protéger. La convention scénique qui fait alterner les selfies collectifs parlés des personnages de la pièce de Camille Gascon et les sombres examens de leurs confessions individuelles montre bien le piège que constitue la lumière sans avers, sans négativité. «Une sortie à la plage » de Barrie Sherwood repose sur semblable aporie entre projet de pleine lumière et échec nourri par l’ombre des mots. Le doute que les entrelacements de l’ombre et de la lumière invitent à imaginer est, nous dit Rachel Lamoureux, à l’origine même de l’écriture. Sans lui, pas non plus de lecture possible.

Si le doute est bien le moteur de l’art, la vie d’une revue offre quelques certitudes. Les écrits, soucieuse d’appuyer l’émergence de nouvelles voix dramaturgiques, a noué en 2021 un partenariat avec l’organisme le Porte- Voix qui, depuis sa création en 2011, propose annuellement une mise en lecture de créations écrites en français par des auteur.e.s de la relève qui étudient ou qui sont diplômés.es des universités, cégeps et collèges, écoles d’art et conservatoires du Québec. Nous avons proposé aux auteur.e.s ayant participé à l’édition 2020-2021 de nous présenter leurs textes. L’un d’entre eux, celui de Camille Gascon, À la lumière de ce que nous avons été, a obtenu le prix Jacques Crête de la revue Les écrits. Nous sommes heureux de présenter ce texte en nos pages et entendons désormais remettre ce prix annuellement, accompagné d’une bourse.

C’est avec ce numéro que Danielle Fournier termine sa contribution régulière à la revue. La Suite du Parlement des écrivaines francophones est la dernière qu’elle met en forme, avec l’énergie et la vivacité qui la caractérise. Danielle Fournier a réalisé ou coréalisé les Suites depuis 2017. Inaugurée dès son arrivée à la revue à titre de directrice littéraire, cette rubrique est devenue l’un de nos traits caractéristiques. Nous entendons bien lui conserver toute sa place, même si Danielle ne souhaite plus en conserver la responsabilité. Nous lui devons aussi la création de la rubrique de l’écrivain.e en résidence, tout aussi importante à nos yeux.

Pour tout cela, pour sa présence, son ouverture au monde, son dévouement pour faire connaître la revue ici et à l’étranger, particulièrement au Salon de la revue de Paris, sa participation aux mille tâches qui font qu’une revue est vivante, toute l’équipe de la revue (Conseil d’administration, comité de rédaction, équipe de production), de même que les dizaines d’auteur.e.s avec lesquels elle a travaillé, la remercient très chaleureusement. Nous lui laissons le mot de la fin de ce liminaire, en formulant le souhait qu’elle continue à fréquenter nos pages avec ses poèmes et ses proses.

— Micheline Cambron, au nom du comité de rédaction composé de Dany Boudreault, Virginie Fournier, Gérald Gaudet et Rachel LaRoche.

[1] Gaston Miron, Lettres. 1949-1965, édition établie par Mariloue Sainte-Marie, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 2015, p. 469.

 

Je m’en voudrais de ne pas remercier la revue Les écrits qui m’a permis jusqu’à maintenant de proposer ces Suites, ces belles suites d’écritures de partout, combinant genres, formes et langues (puisqu’il y en a eu en traduction).

C’est ici que se termine mon apport comme collaboratrice régulière à la revue. Ce fut un grand honneur d’en avoir assuré la direction après l’irremplaçable Pierre Ouellet puis de conserver ce lien privilégié qui permettait de faire connaître au lectorat des univers moins familiers.

Danielle Fournier