Récits de fin du monde, images tragiques de la disparition du lien social, rédemptions avortées/achevées dans l’écriture : la vie et la mort se côtoient dans ce numéro qui porte nettement la marque de notre temps, celui du confinement, de la violence des crises, du débordement des mots et des choses. Depuis la naissance jusqu’à la mort tout s’y trouve emporté – le collectif et l’individuel, la guerre et le sexe, les épidémies et leurs panacées. C’est ce que racontent les textes de ce numéro depuis les poèmes et les récits jusqu’aux fragments dramaturgiques et à l’essai. On pourra ainsi assister au délitement d’un espace qui s’effondre sur lui-même (ruines, sous-terrains, sous-sols), « son du papier / qui tombe / comme à l’infini », d’où se dressent musique et lumière.

On pourra entendre le sexe, la vie et la mort vécus dans une chair qui respire, expire et hurle. On pourra voir à l’œuvre les liens qui se défont, le pouvoir des mots menacé ou protégé, moqué ou préservé, dont le triomphe est vivant et cruel, infini, alors que mots et maux du numérique contribuent au désordre.

Le théâtre est, de par sa nature et son histoire mêmes, en contradiction avec toute forme de confinement parce qu’il se réalise dans l’immédiateté du contact avec un public. L’invitation lancée ce printemps par Dany Boudreault, nouveau membre du comité de rédaction de la revue, a obtenu un succès inattendu, qui a sans doute à voir avec cette contradiction. On trouvera donc en ces pages, sous l’intitulé Théâtre, avec lequel nous renouons, un premier groupe de textes d’auteurs dramatiques qui, si différents soient-ils, comportent tous une réflexion sur la nature du théâtre et du lien social qu’il instaure, portée par des stratégies formelles originales mettant en scène l’angoisse du monde étrange (étranger ?) qui émerge, alors que les mots parlent et manquent à la fois.

Le portfolio de Marion Wagschal, qui se déploie au fil des textes, offre de cette violence crue des images justes et sans complaisance, peuplées de figures terrifiées et terrifiantes, que les couleurs brouillées rendent paradoxalement plus réelles.

L’absolu fait défaut partout. Dans la vraie vie comme dans l’art, la mort est toujours la mort de quelqu’un. Marie-Christine Lévesque, notre auteure en résidence, nous avait promis pour le présent numéro un troisième texte qu’elle n’aura, hélas, pu achever avant son décès. Son écriture si vivante nous manquera. Nous lui rendons hommage grâce à une œuvre de Marion Wagschal, Colossus (2015, acrylique sur toile) et offrons à ses proches notre silence peiné et respectueux.

– Micheline Cambron, au nom du comité de rédaction composé de Dany Boudreault, Gérald Gaudet, Ariane Grenier-Tardif et Gabrielle Huot-Foch