Cette présentation du portfolio et de l’artiste a été rédigée par Micheline Cambron. Elle est tirée de notre numéro 160. 

Ce portfolio de l’artiste béninois Ishola Akpo est composé de portraits photographiques colorés où des visages et des corps, qui se manifestent dans leur dimension la plus charnelle, « portent » des objets qui leur sont costume, masque, ornement, arme ou même camouflage. Ces objets, qui possèdent en eux-mêmes une charge esthétique, invitent à penser autrement les identités, leur exhibition les déliant de leur assignation initiale, les récits se jouant sur la frontière entre fiction et réalité. Ces récits renvoient aux obsessions de l’artiste : identités multiples, libération du corps des contraintes sociales, pouvoir iconique des objets sacrés.

Les images du présent portfolio ont été tirées de plusieurs séries de photographies, dont la série « L’essentiel est invisible pour les yeux », dans lesquelles des objets enchevêtrés, pour la plupart féminins, comme les restes de la dot de sa grand-mère, sont portés par un homme, se déployant ainsi hors de l’opposition homme/femme qui leur donne traditionnellement sens. Ce faisant ce sont les codes de la féminité qui se trouvent interrogés. Le travail mémoriel qui en résulte impose un nouvel investissement symbolique, qui fait de la femme une clé de la mémoire. Le projet Agbara Women va dans le même sens, « exprimant dans sa globalité la détermination, la force et la résistance dont ont fait preuve [l] es reines africaines, mais également la fragilité de leur pouvoir face à toutes les formes d’opposition qu’elles ont pu rencontrer [1] ».

Sur un mode plus politique, à travers un dispositif d’autoportraits mis en scène dans divers lieux du site archéologique souterrain d’Agongointo à Bohicon au Bénin, Ishola Akpo rejoue, dans la série « Ahwando », les razzias ancestrales en se plaçant dans la peau des traqués cachés sous des camouflages dans les feuilles mortes. Des poteries dissimulent son visage alors qu’il est tapi dans l’obscurité des ahwando (littéralement « trous de guerre »), devenant ainsi à la fois le guetteur et le traqué. Enfin, l’Afrique des chasseurs inspire le photographe dans la série « Daïbi », dans laquelle il incarne un dieu imaginaire qui renvoie aux obsessions de l’artiste : identités multiples, libération du corps des contraintes sociales et objets sacrés. Outre les récits de vie auxquels elles ouvrent comme à autant de possibles, toutes ces images incarnent la totalité du temps : passé plus ou moins lointain des objets, présent de l’exhibition, futur de la trace photographique.

Photographe et artiste multimédia, Ishola Akpo expérimente les possibilités du numérique, tout en mélangeant dans son travail modernité et tradition, jouant sur différents niveaux de lecture pour en faire des métaphores plurielles. La frontière entre réalité et fiction, identités fixes et identités multiples, reste au coeur de sa démarche.

En 2013, lauréat de Visa pour la création (Institut Français, Paris), il présente la série « Pas de flash, s’il vous plaît ! », une réflexion sur l’interaction de la lumière sur les sujets photographiés, présentée sous forme de performance et d’exposition à l’Institut français de Cotonou. En 2014, il publie la série « L’essentiel est invisible pour les yeux » (Africa Is No Island, MACAAL, Foire 1.54 au Maroc, 2018), à partir d’une expérience familiale, qui illustre la dot de sa grand-mère, tout en insistant sur sa charge mémorielle. Cette réflexion le conduira à explorer le mariage contemporain. En 2015, avec la série « Les mariés de notre époque », Ishola Akpo, lauréat de Photoquai, entre dans la collection du Musée du Quai Branly à Paris.

Depuis il multiplie les résidences artistiques : Fondation Montresso (Maroc) avec la série « Daïbi » et, plus récemment, la Fondation Zinsou (Bénin) avec Agbara Women présentée au Musée Ouidah comme une ode au pouvoir des femmes, incarnée avec des portraits de reines connues ou oubliées de l’histoire en Afrique.

Son travail a été sélectionné dans plusieurs grands événements internationaux : Weltkulturen Museum, Francfort (Allemagne) ; Fotonoviembre, Tenerife (Espagne) ; Nuit blanche, Port-au-Prince (Haïti) ; Lagosphotos Festival, Lagos (Nigéria) ; Festival Afreaka, São Paulo (Brésil).

Ishola Akpo vit et travaille au Bénin.

Pour en savoir plus sur l’artiste, consultez son site web.

[1] Catalogue de l’exposition Agbara Women, Fondation Zinsou, Musée de Ouidah, 2020.

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Expositions en cours et à venir d’Ishola Akpo

Expositions en cours et à venir d’Ishola Akpo

Ishola Akpo participe aux expositions collectives « Ce qui s'oublie et ce qui reste » (Musée de l’histoire de l’immigration, Palais de la porte dorée, Paris) et « Cosmogonies » (Montpellier, MO.CO, Hôtel des collections).