Le présent numéro se déploie entre deux pôles : l’œuvre de Gérard Titus-Carmel, peintre et écrivain français de renommée internationale, et les textes de plusieurs auteurs des Éditions de l’Hexagone, qui fêtent cette année leur soixantième anniversaire. Si le premier s’adonne à une création plurielle, entre peinture et dessin ou poésie et prose, à partir d’un point de vue singulier, les seconds forment une pluralité, d’une étonnante diversité, qui donne à leur éditeur un visage unique, celui d’une littérature québécoise toujours à l’état naissant, aussi jeune maintenant qu’elle pouvait l’être dans les années 1950.
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C’est en 1953 que Gaston Miron, avec cinq de ses amis, dont Olivier Marchand, fonde les Éditions de l’Hexagone, qu’il nomme d’après « cette figure géométrique où les côtés sont égaux », explique-t-il, mais où chacun « préserve son individualité », figure du singulier pluriel, donc, qui fut le point de rassemblement des poètes à la fois les plus personnels et les plus solidaires en ce début de Révolution tranquille qu’ils ont contribué à façonner : de Paul-Marie Lapointe à Michel van Schendel, de Fernand Ouellette à Jean-Guy Pilon, de Roland Giguère à Yves Préfontaine, de Gilles Hénault à Pierre Perrault, les auteurs-clés de la modernité littéraire québécoise ont assidûment publié dans cette illustre maison au cours des deux premières décennies de son existence. Celles qui ont suivi n’ont pas manqué aux promesses portées par une telle génération, si nombreuse, si talentueuse, qui a durablement marqué la mémoire et l’imaginaire d’ici.
Nous avons voulu témoigner de cette richesse en nous associant aux revues Estuaire et Exit pour rendre hommage à cette maison qui est devenue une véritable institution : des inédits de Michel van Schendel, proses et poésies, ouvrent notre dossier, dans lequel on trouvera également des textes de Jean Royer, directeur de la maison de 1991 à 1998, d’André Brochu, directeur de la collection « Poésie » de 1991 à 1997, de France Théoret et de Michel Gay, qui y ont publié plusieurs de leurs livres, et de Jean-François Bernier et Francis Catalano, écrivains d’une grande maturité qui y publient depuis peu. Nous tenons à remercier Danielle Fournier, actuelle directrice littéraire de l’Hexagone et membre du comité de rédaction des Écrits, pour l’aide précieuse qu’elle nous a apportée dans la préparation de cet hommage, que nous dédions à l’ensemble des auteurs et artisans de la maison, ainsi qu’à ses lecteurs les plus fidèles, qui ont su faire de ce lieu de création et de diffusion l’un des modèles les plus inspirants de la vie littéraire d’ici pendant plus d’un demi-siècle.
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Gérard Titus-Carmel, artiste et écrivain né à Paris en 1942, connu et reconnu dans de nombreux pays, possède des liens étroits avec le Québec : il y a exposé à quelques reprises, notamment à la galerie Graff, et y a publié un livre, Quatre images mémorables, aux Éditions de la NBJ, en 1987. Antoine Émaz dit que chez lui « écrire et peindre semblent avancer d’un même mouvement, en parallèle, sans conflit ni concurrence, sans même une sorte de jeu d’alternance de périodes d’écriture ou de peinture » : les deux s’épousent de près parce qu’une même énergie les unit, une même force créatrice les marie, jusque dans le souci des formes les plus ouvrées dans lesquelles ces divers modes d’expression se manifestent chez lui. Ce qui les caractérise, c’est la déclinaison, tantôt plastique tantôt verbale, d’une même « énergie de base », brute, puissante, « liée à vivre », écrit Émaz, mais d’un extrême raffinement, dû à l’intime et longue fréquentation de l’art et de la poésie, puis sa canalisation dans une forme sériée, fuguée, qui obéit aux processus de la « variation », ainsi qu’en témoignent ses suites poétiques, telle celle que nous publions ici, et ses grands ensembles picturaux comme les Nielles, les Jungles, La Bibliothèque d’Urcée ou la Suite Grünewald, dont on trouvera plusieurs exemples dans nos pages.
Le poème et le tableau ne viennent pas seuls : le visuel et le verbal sont l’avers ou l’envers l’un de l’autre, que l’œil du peintre et l’oreille du poète captent et explorent avec le même potentiel énergétique, qu’il s’exprime et s’imprime en mots sur la page ou en gestes sur la toile. Son œuvre n’est pas seule non plus, accompagnée qu’elle est par les plus grandes voix : celle d’Yves Bonnefoy, qui lui a consacré en 2004 un superbe essai, Feuillées, paru au Temps qu’il fait, et celles des écrivains-amis qui lui dédient ici poèmes et proses, Denise Desautels, Françoise Ascal, Marc Blanchet et Alain Fleischer, qui ajoutent à l’écho qu’Antoine Émaz rend au travail d’artiste et de poète d’un homme dont nous sommes fiers de présenter l’œuvre récente en la mettant en perspective depuis ses origines il y a plus d’une quarantaine d’années.
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On lira aussi des récits de Carole David (accompagnés de photos retrouvées dans ses archives personnelles), de Luc Bureau et d’André Ricard, de même que des poèmes de Jean-Marc Desgent, auteurs chevronnés qu’on a déjà eu l’occasion de lire dans Les écrits, puis des textes narratifs ou poétiques de jeunes auteurs, Julie Massy, Véronique Grenier et Étienne Lalonde, dont la force et l’originalité ne cessent de s’imposer. Enfin, nous sommes très heureux de faire paraître des poèmes inédits de Patrick Wateau, l’un des auteurs français les plus importants de sa génération, à qui nous devons une vingtaine de livres, parus notamment chez José Corti, à l’Obsidiane et à La Feugraie, parmi lesquels un double ouvrage, en prose et en vers, qui fera date dans l’histoire des rapports entre philosophie et poésie, Itinérance et pas, tome I et II, paru aux Éditions d’écarts, où il écrit : « l’inadéquation entre unité et multiplicité n’empêche pas la nostalgie de l’analogie. L’adéquation totale supprime la poésie au profit du savoir. L’absence d’analogie provoque l’effondrement. » Les écrits pratiquent une « pensée analogique » d’après l’effondrement, allant et venant dans les interstices entre l’unique et le multiple, où se destine et se dessine le poétique, dans l’écart ou le libre jeu qui permet seul les rapprochements… les plus improbables, les plus inattendus, qui sont souvent les plus éclairants.
– Pierre Ouellet