La revue ne propose pas de thème à ses auteurs, qui restent totalement libres d’exercer leur créativité comme ils l’entendent, sans limites ni contraintes, mais il arrive très souvent, comme c’est le cas dans le présent numéro, qu’une configuration d’ensemble se dessine : les textes s’agencent de manière non préméditée autour d’un pôle d’attraction qui leur confère une certaine unité malgré leur grande diversité. Un épicentre se devine derrière les petits séismes poétiques, narratifs ou réflexifs qui ébranlent notre conscience dans les pages qu’on va lire : le « voyage initiatique », présent, entre autres, dans les longs récits de Louis Hamelin et de Roland Bourneuf, la « transmutation » ou la « transmigration », sensibles dans les réflexions poétiques de Domingo Cisneros, Guillaume Asselin, Roger Des Roches ou Cédric Demangeot, bref, l’évocation d’une « transformation » due à un « déplacement » identitaire, dans le temps, l’espace, la mémoire ou l’imaginaire, en jeu dans les proses de Marie Cosnay, Emmanuel Kattan, Jean-Claude Brochu, François Thibaux, dans les poèmes de Jean-Pierre Chevais, François Gagnon, Guy Beausoleil ou dans les fragments critiques de Martin Tailly, constituent autant d’« attracteurs étranges » autour desquels l’écriture des auteurs rayonne et gravite dans des voisinages inédits qui en transfigurent la portée.

La revue permet cette proximité qui donne à chaque texte un entourage, des alentours, des abords inattendus où il irradie, chacun agissant sur l’autre de manière plus ou moins contagieuse de sorte que des complicités se créent, des rencontres se font, des ressemblances s’esquissent, des assemblages s’échafaudent : chaque numéro devient une œuvre en soi, irréductible aux œuvres individuelles qui la composent, ce que marque également l’iconographie, grâce à laquelle son sens se réverbère dans des images fortes, denses, généreuses, qui donnent un visage reconnaissable à sa personnalité, comme le fait ici l’œuvre multiforme de François Morelli, artiste qui pratique avec un égal bonheur l’installation, la performance, la sculpture, la peinture, le dessin et la gravure.

~

Les revues sont essentielles dans le paysage culturel d’aujourd’hui, envahi par les réseaux sociaux, les médias électroniques, l’industrie du spectacle : elles ménagent un espace de proximité où des liens électifs se tissent entre des paroles et des images uniques, qui donnent lieu à un « réseau » beaucoup plus riche et dense que celui que nous formons dans le monde éphémère et transitoire de la seule actualité, entre Twitter et Facebook. Il faut préserver ces espaces collectifs où la singularité de chacun s’exprime sans entrave dans des voisinages inattendus qui stimulent notre imagination, avide de rencontres et de croisements inédits. Les écrits, comme tant d’autres périodiques dans le champ des arts et des lettres, ne cessent d’être menacés malgré l’indéniable succès d’estime dont ils bénéficient : le soutien des lecteurs, notamment des abonnés, comme celui des auteurs et des artistes qui y collaborent est essentiel à leur survie. Nous comptons sur chacun dans la campagne d’abonnement que nous entreprenons aujourd’hui pour accroître la présence de la revue auprès du public le plus large, sans lequel nous n’aurions pu nous perpétuer et nous développer pendant plus d’un demi-siècle, Les écrits étant la doyenne des revues littéraires au Québec et dans le Canada français. Nous proposons, en fin de numéro, des modalités d’abonnements multiples qui permettront de faire bénéficier de la revue à plus de lecteurs et de lectrices en la leur offrant à moindre frais.

~

Une revue de création comme la nôtre est toujours résolument tournée vers l’avenir, qu’elle invente, imagine, anticipe, mais dans cet irrésistible élan qui la pousse vers l’avant elle sait prendre un temps d’arrêt pour dire combien l’ingéniosité d’un auteur ou d’un artiste d’exception constitue un héritage hors de prix, qui façonne notre histoire et nos traditions autant que notre présent et notre futur proche. Nous avons récemment rendu hommage à Jean-Guy Pilon et à Naïm Kattan, qui sont non seulement deux écrivains importants de notre histoire récente, mais aussi des artisans majeurs de la revue, qu’ils ont dirigée pendant longtemps. Nous profitons aujourd’hui de la remise de la Médaille de l’Académie des lettres du Québec à Robert Lepage, décernée l’automne dernier, pour rendre hommage à notre tour à cet homme de théâtre exemplaire, qui a réinventé les arts de la scène au Québec et partout dans le monde, où la dramaturgie, l’art lyrique, la danse, le cirque et la performance ont connu, grâce à lui, des mutations sans précédent. André Ricard, directeur adjoint des Écrits, fait ici une présentation synthétique de ses œuvres et de son apport inestimable au monde de la scène et du spectacle en tant qu’auteur, interprète, metteur en scène et scénographe, sans oublier son travail de réalisateur au cinéma. Et nous concluons le numéro avec le discours de réception de la Médaille écrit par Robert Lepage pour la cérémonie de remise des prix qui s’est tenue aux Archives nationales en septembre dernier.

~

Les revues ont une vie, non seulement par les publications auxquelles elles donnent lieu, mais aussi par l’équipe d’artisans qui les rendent possibles, parmi lesquels certains nous quittent quand d’autres nous rejoignent. Nous accueillons deux nouveaux membres au Comité de rédaction et au Conseil d’administration des Écrits : Denise Desautels et Danielle Fournier, à qui nous souhaitons la plus chaleureuse bienvenue. Poètes et romancières reconnues, récompensées par de nombreux prix, la première très présente dans le monde des arts et la seconde dans celui de l’édition, elles contribueront grandement au développement de la revue dans le cadre de ses nouvelles orientations. Nous avons le regret toutefois d’annoncer le départ de Jacques Folch-Ribas, membre du Comité de rédaction depuis de nombreuses années, qui souhaite se consacrer davantage à son œuvre personnelle : nous le remercions chaleureusement pour son apport aux Écrits, auxquels il a collaboré à maintes reprises comme auteur et contribué de manière significative par ses idées et son dynamisme. Nous lui souhaitons le plus vif succès dans la poursuite de sa carrière en tous points remarquable.

– Pierre Ouellet