Préparé en temps de confinement, ce numéro évoque, sans que cela ait été prémédité, à la fois les angoisses pressantes du monde et les lieux vers lesquels l’imagination se replie, au plus près des attachements humains, en temps de crise. Le portfolio de Jack Beng-Thi que nous présentons en porte témoignage.

La parution de la Suite réunionnaise, qui donne à lire une littérature quasi inconnue au Québec, devait coïncider avec le Marché de la poésie de Paris mettant en vedette les littératures françaises d’outre-mer. L’événement a été annulé. Raison de plus pour déguster les poèmes que nous vous offrons, fortement attachés à une île, à une langue et à une culture vernaculaires inscrites dans les pratiques artistiques et médiatiques les plus contemporaines. Nous remercions Patrick Quillier et Danielle Fournier d’avoir préparé ce dossier au centre duquel se trouve Boris Gamaleya dont nous présentons des poèmes édités mais introuvables et des fragments inédits, entouré de textes d’Anna O’aro, Anne Cheynet et Vigile Horeau.

Les rubriques amorcées dans le numéro 157 se poursuivent : la chronique média de Marie Belisle et la contribution de notre auteure en résidence, Marie-Christine Lévesque. Vous les retrouverez toutes deux dans le prochain numéro. Par ailleurs, les récits au sommaire développent des thèmes étonnamment convergents : l’importance des enjeux éthiques que soulèvent nos relations avec les animaux, chez Carl-Keven Korb et Antonin Mireault-Plante ; la dimension anxiogène de la relation à l’autre, de la plus proche, celle du rapport mère-enfant chez Marie-Christine Lévesque, à la plus lointaine, celle qui suscite une peur atavique dans la jungle urbaine traversée par Rose Normandin ; la crainte du futur qui fait irruption dans nos vies par de voix porteuses de mort annoncée dans le récit de Christine Palmiéri.

De manière homologue, les poèmes créent tous, malgré leurs factures diverses, un huis clos, certes, cela repose en partie sur la clôture du langage qu’induit la poésie. Mais comment ne pas voir aussi que le texte de Jonathan Charette nous entraîne dans un monde luxuriant mais crépusculaire et fini, une « Station balnéaire près du néant » ; que celui de Pascale Auger redit « la catastrophe de mémoire » qui enferme les êtres; que les « aires désertes » et la « ville éteinte » de Renaud Longchamps racontent un monde « qui profane la lumière » ? Que tout cela remue nos inquiétudes les plus intimes, il n’en faut pas douter. Aussi notre numéro se clôt-il sur « L’enferment » de François Minod, qui condense en un leitmotiv nos angoisses les plus essentielles. Le présent numéro a été réalisé par une nouvelle équipe de direction, appuyée par un comité de rédaction renouvelé. Je remercie, au nom de tous, artisans et lecteurs, Danielle Fournier, qui a dirigé la revue durant les quatre dernières années.

Bonne lecture.

– Micheline Cambron, au nom du comité de rédaction composé de Dany Boudreault, Gérald Gaudet, Ariane Grenier-Tardif, Gabrielle Huot Foch et Pierre Ouellet.