[C]’est mon corps qui écrit, par l’imagination
je peux mettre plus d’eau, plus de feu,
plus de terre.
Larry Tremblay
Peut-être n’avons-nous pas suffisamment conscience de la présence toute viscérale du corps, dans l’écriture comme dans la lecture, prête à éprouver les douleurs ou les joies présentes dans les oeuvres. Présence qui se replie sur elle-même, contracte ses muscles, devient mécanique où travaillent en bons termes, grâce à leur alchimie, les émotions et les mots. Outil capable de nous permettre d’assumer en toute conscience les souffrances du réel et celles de la fiction. En cela, le corps devient un lieu où reprendre son souffle, véritable caisse de résonance.
Les textes rassemblés dans ce numéro s’attardent à différents territoires du corps, lui donnant pour rôle de penser la réalité autrement. L’ajout de terre et d’eau, comme le mentionne Larry Tremblay, le passage par la dépossession et le dénuement, abordé ailleurs, semblent pouvoir le mieux servir la possibilité de renaître et de retrouver son souffle. Dans l’exil et dans la solitude, dans l’arrachement, se trouve une part vivante qui retentit à travers le tambour de la chair et qui tente, sans toutefois y parvenir toujours, de lui porter secours.
C’est ainsi que Monique Proulx, notre écrivaine en résidence qui signe ici sa deuxième contribution, affirme ne pas vouloir enfermer un être réel et dépossédé dans un personnage de fiction, mais elle lui propose un récit où il pourrait se matérialiser et retrouver sa vibration, son essence première. Pour sa part, le texte de Marc André Brouillette sonde le souterrain, là où mobilité et résistance laissent des traces qui créent les ponts entre les univers. Le corps (l’acte d’écrire ?), véritable palimpseste, puise en sa mémoire sens et significations pour faire comprendre ce qu’il perçoit et absorbe. À ces deux textes s’ajoute le très bel entretien que mène Gérald Gaudet avec Larry Tremblay et qui traite également du corps et de la fureur qui parfois s’empare de lui. Le corps qui écrit, celui qui garde en lui les empreintes diverses de ses rencontres avec le monde et qui souhaite les réhabiliter pour notre compréhension.
Les personnages, proposés par Christian Guay-Poliquin, Élisabeth Chabuel, Pierre Lozano et Alice Perron-Savard, s’avancent pour leur part dans des territoires hostiles, observant, explorant, rapidement imprégnés des vibrations qui les entourent et habitant des corps meurtris ou renouvelés. Chacun des textes de ces auteur.e.s décrit des lieux inhospitaliers, de même que des êtres brisés et reconquis, transformés par leur blessure. C’est également le cas dans l’extrait de la pièce de théâtre que nous propose ici Florence Conant, alors qu’une jeune Ophélie se noie et regarde autour d’elle disparaître le monde dans lequel elle a vécu.
Autrement, on trouve dans les poèmes de Noémie Laporte, d’Émile Riel, de Geneviève Catta et de Michèle Moisan tous les sens conviés à absorber le monde et à devenir corps-musique, corps-souffrance, corps-amour ; corps du temps et de l’abandon, celui de la trahison et de la mort ; corps du lac et du fleuve devenus battements, résonances, résistances nouvelles. Enfin, les oeuvres de Jacques Cournoyer qui constituent le portfolio de ce numéro participent elles aussi à ce dialogue avec la chair, oeuvrant à créer des univers improbables et leurs constellations. « Chaque triangle, chaque angle, chaque pyramide, chaque forme en contient une autre, infinitésimale, à la recherche d’une osmose flirtant avec la rupture, le coupant, la blessure, la guérison », souligne Élisabeth Recurt dans sa description de l’oeuvre intitulée Tête noire, passant du trait schématique au corps blessé qui guérit.
Le corps est l’un de nos précieux territoires. Qu’il soit transformé par les violences ou les joies, il demeure un abri et l’espace intime protégeant nos révoltes.
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Un remerciement chaleureux à Frédérique Bernier qui, le temps de quelques numéros de la revue, s’est assise avec nous pour lire, commenter et choisir des textes. Ses lectures et l’intelligence de ses interventions nous manquent déjà. À ce remerciement s’en ajoute un autre pour Janick Burn qui a travaillé avec rigueur à la coordination et au rayonnement de la revue. Sa complicité et ses idées nous manquent aussi. Nous leur souhaitons bonne route à toutes les deux.
Saluons également Robert Laliberté qui a travaillé plusieurs années à la révision linguistique des textes de la revue. Son précieux travail a été fort apprécié, par nous et par les auteur.e.s qui l’ont remercié régulièrement pour la finesse de sa lecture.
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France Mongeau, au nom du comité de rédaction composé de
François Édouard Bernier, de Micheline Cambron et de Gérald Gaudet.