Ce texte a été rédigé par Mona Hakim. Il est tiré de notre numéro 156. 

Faire retour sur les toutes premières œuvres picturales d’Irene F. Whittome réalisées en 1963 lors de ses études à la Vancouver School of Art est un exercice captivant. Cet impressionnant corpus d’œuvres aux figures biomorphiques et archétypales s’inscrit dans la lignée de ses dessins de facture expressionniste, déjà documentés [1], produits entre les années 1963 et 1967. Le corpus exceptionnellement méconnu de Bestiaire, est composé d’une quinzaine de tableaux dont huit de très grande dimension et d’une série de portraits.

 

Ces tableaux saisissants par leur très grand format vertical, leurs couleurs et textures exacerbées, leur iconographie sauvage et agressive et par les gestes, que l’on devine exaltés, de la peintre nous ramènent non seulement à une période importante d’apprentissage de l’acte créatif chez Whittome, mais à un moment révélateur dans le parcours de l’artiste et l’évolution de son œuvre. Ces corps mi-hommes mi-animaux plus grands que nature, au squelette cambré et aux extrémités palmées, sortes d’insectes terrifiants comme l’indique l’intitulé du triptyque Apocalypse Insects, de même que les têtes préhistoriques des Portraits, nous plongent dans un univers troublant, de nature à la fois archaïque et mythologique. Êtres et têtes chimériques feignent ici des poses humaines sous la gestuelle frénétique de l’artiste qu’une palette de couleurs souillées et violentes vient intensifier.

Plusieurs facteurs contextuels ont certes contribué à l’incursion de l’artiste dans le monde de la mythologie. À commencer par la collection d’artefacts des Indiens Haidas du musée d’anthropologie de Vancouver, qui fut le tout premier contact de Whittome avec l’art. À cela peut s’ajouter la vague de l’expressionnisme abstrait américain et européen qui déferlait sur les pratiques de l’art dans les années cinquante et soixante, sans oublier les assises théoriques et pratiques léguées par le professeur et mentor de la période de formation de l’artiste, Jack Shadbolt. Pour Shadbolt, l’élève devait être en mesure « d’aborder le dialogue essentiel des contraires dans la vie et que les formes produites y correspondent [2] ». Des expérimentations basées entre autres sur les dessins de Picasso ou sur certains bestiaires du Moyen Âge lui permettaient ainsi d’explorer « l’aspect psychologique de l’abstraction [3] ».

— Mona Hakim

[1] Plus de cent cinquante dessins couvrant les vingt-cinq ans de production de Whittome ont fait l’objet d’une exposition au Musée d’art de Joliette en 1989, sous le commissariat de Laurier Lacroix. Dans la publication accompagnant l’exposition, Lacroix documente avec grande acuité l’œuvre dessinée dans le parcours de l’artiste. Laurier Lacroix, Irene F. Whittome. Parcours dessiné. Hommage à Jack Shadbolt/Drawings,1963-1988 : A Tribute to Jack Shadbolt, Joliette, Musée d’art de Joliette, 1989.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

Pour en savoir plus sur l’artiste, consultez son site web ou sa page Wikipédia.

 

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