L’expérience de la lecture est variable et pour chacun, singulière. Elle fait naître une complicité entre deux êtres, le lecteur et l’écrivain, qui se rencontrent par l’entremise d’un texte. Si c’est l’écrivain qui initie cette rencontre, le lecteur est celui qui l’entretient, lui donne un sens, une valeur, et différents lecteurs donneront lieu bien sûr à des lectures différentes. Dans une revue, cependant, la relation est inversée, puisque c’est le même lecteur qui, en passant d’un texte à l’autre, fera plusieurs rencontres successives. Il pourra ainsi braconner comme bon lui semble, lire les textes dans l’ordre ou le désordre, en sauter un pour y revenir plus tard, choisir d’approfondir sa relation avec tel auteur ou de mettre un terme à son flirt avec tel autre. Une revue est à la littérature ce que Tinder est aux relations amoureuses.
À la différence de Tinder cependant, les textes de ce numéro vont à l’essentiel. Promenades solitaires, rêveries, méditations, ils nous invitent à l’introspection et nous ramènent à ce qui caractérise au plus profond l’être humain, son irréductible pluralité d’expériences et de points de vue. Dialogues, journal, poèmes, récits, la diversité des formes d’écriture et des genres littéraires nous permet de voir autrement ce que nous croyions avoir déjà vu, et parfois même d’entrevoir pour la première fois un réel dont nous soupçonnions peut-être seulement l’existence. Ils prennent des chemins de traverse où se mêlent, de façon complexe, des paysages intérieurs, des histoires personnelles, des lieux géographiques et des rencontres amoureuses, pour la plus grande joie et la plus grande jouissance du lecteur.
De la ville à la toundra, de la Bretagne du nord à l’Afrique du Sud, les récits que nous publions ici tracent des itinéraires variés qui mettent en relation l’ici et l’ailleurs, le soi et l’autre, ou encore, par une sorte de voyage immobile dans la relecture des épreuves, démystifient ce moment mystérieux où le soi devient lui-même un autre. Les poèmes nous amènent eux sur un versant du langage où la parole devient plus dense et plus nerveuse, où les mots prennent le poids de la confidence et de la déclaration, où le langage trouve sa ligne la plus pure et la plus pénétrante. Le théâtre enfin jette un pont entre ces deux pôles d’attraction qui séparent le poème du récit, cherche le point d’équilibre où se croisent et se mêlent la ligne nerveuse et la ligne narrative.
La publication d’un numéro tient de la fête, du bonheur de voir enfin le livre entre nos mains. Il est maintenant remis entre vos mains, chères lectrices et chers lecteurs, qui êtes personnellement conviés à un rendez-vous amoureux avec l’inconnu, l’imprévisible et l’inouï.
– Danielle Fournier et David Desrosiers