Le présent numéro cherche à poursuivre l’excellent travail accompli par Pierre Ouellet au cours des sept années qu’il a passées à la barre des Écrits. Nous lui devons entre autres la découverte dans ces pages de nombreux romanciers, poètes, essayistes et artistes plasticiens de grand talent. Qu’il soit remercié ici pour le rôle de passeur de mots, d’idées et d’images qu’il a su jouer au fil des années avec tant de générosité, d’intelligence et d’enthousiasme.

S’il s’inscrit dans la continuité, ce numéro apporte aussi des changements qui, nous l’espérons, permettront à la revue de se renouveler et de poursuivre les objectifs qu’elle s’est fixés. Ainsi, un statut d’écrivain en résidence sera désormais confié pour une année entière à un auteur émérite. C’est avec un grand plaisir que nous accueillons à ce titre André Major, qui partagera avec nous des pages inédites de ses carnets d’écriture.

Deux nouvelles chroniques se sont ajoutées à celle que tient déjà Monique Deland depuis près de deux ans. La première, Exlibris, donnera la parole à un écrivain qui racontera, sur le mode du récit de formation, les lectures qui l’ont marqué et qui ont fait ce qu’il est devenu. La seconde, Ekphrasis, livrera un commentaire sur le travail de l’artiste qui illustre le numéro. Laurier Lacroix y rend ici hommage à Stéphanie Béliveau, dont l’œuvre, tendue entre l’idée de la ruine, du rebut, de la relique, et celle de la réparation, de la récupération, de la rédemption, pose un regard mélancolique sur le monde, ses blessures, ses cicatrices et sa lente régénération.

Sous le titre « Lire/écrire », nous avons conçu un dossier thématique réunissant les réflexions de cinq écrivains sur le rapport qu’ils entretiennent avec la lecture et l’écriture. Le dossier contient notamment trois textes qui sont issus de conférences prononcées lors de la 44e Rencontre québécoise internationale des écrivains organisée par l’Académie des lettres du Québec en avril 2016, qui portait cette année sur le thème « Lire, écrire, éditer ».

Le lecteur aura sans doute remarqué que la revue est revenue peu ou prou aux dimensions qu’elle possédait avant de célébrer son soixantième anniversaire, moment fort et ambitieux de son histoire où étaient réunis jusqu’à quarante signatures par numéro. Pour ne pas finir comme la grenouille de la fable, nous avons en effet décidé de nous limiter à une vingtaine de textes environ par livraison, tout en cherchant à maintenir la diversité de voix que nous avions l’habitude d’offrir à nos lecteurs.

Comme le serpent qui mue, une revue qui change de direction ne change pas pour autant d’identité et ne cesse pas d’être ce qu’elle a toujours été. Les écrits se sont donné pour double mandat de publier des écritures connues et reconnues, les voix marquantes de notre littérature, mais aussi de faire connaître de nouveaux auteurs, jeunes ou moins jeunes, qui ont encore peu eu l’occasion d’être publiés. Qu’ils soient en vers ou en prose, qu’ils empruntent les voies de la réflexion ou celles de la fiction, les textes des uns et des autres continueront à se côtoyer et à partager ce lieu de création, d’échange et de réflexion que nous souhaitons être.

Chaque écriture trace son sillon dans le champ de la langue. Chacune d’elle tente de dire quelque chose sur le monde que nous habitons en construisant son propre univers, ses personnages imaginaires, ses paysages intimes. Chacune traduit une expérience singulière de la destinée humaine, vue et interprétée à travers le prisme du langage. Chacune contribue ainsi à la fabrication du monde commun, qui n’est pas un monde préexistant à la parole, un monde qui se présenterait sous les atours du fait empirique, de l’objectivité scientifique, de l’évidence indiscutable, mais qui est plutôt produit et animé par l’activité même de la parole, par le débat d’idées et l’échange verbal, par la fréquentation des livres et le contact avec les œuvres d’art, par le plaisir du récit et la justesse du poème, bref, par les divers moyens que nous mettons en œuvre afin de nommer et de comprendre ce que nous voyons, ce que nous pensons et ce que nous ressentons. Puisse cette nouvelle livraison des Écrits contribuer, comme elle a su si bien le faire sous la direction de Pierre Ouellet, à l’enrichissement de ce monde commun, réfléchi et rendu intelligible par un travail d’écriture, et que le désir de transmettre, qui est celui de tout éditeur, se mue chez nos lecteurs en plaisir de la découverte.

-Danielle Fournier et David Desrosiers