CRÉER DE LA BEAUTÉ

Le travail terminé on se recule, on jette là-dessus un regard à la fois d’étonnement et desoulagement. Une chose qu’on gardait pour soipeut maintenant être partagée et, qui sait, seretrouver sur un mur, bien en vue, à la placed’honneur, après avoir été exposée à côté desœuvres des camarades d’atelier, puis vendue. Parce que c’est beau.

— Michel Tremblay 

Le numéro que vous tenez entre vos mains, fût-ce virtuellement, revêt un caractère exceptionnel. En effet, nous accueillons un portfolio réalisé par Les Impatients, qui comporte des œuvres réalisées dans différents médiums par 15 artistes engagés dans une démarche à la fois esthétique et libératrice, qui, écrit Michel Tremblay dans sa belle présentation, « aide à survivre ». Cette présence trouve des échos ailleurs dans le numéro, entre autres dans l’essai de Pierre Vachon sur les bienfaits de la musique.

Nous sommes ainsi invités à nous interroger sur ce qu’est l’art, sur son rôle dans chacune de nos vies, sur ses fonctions sociales. Nous avons le plus souvent des réponses toutes faites : lorsque Raoul, quatre ans, me demande ce que c’est que l’art, je réponds que c’est ce qui sert à créer de la beauté. Mais cette réponse est courte. Elle occulte le geste artistique lui-même, qui fait chaque fois advenir une part de nous-même inaccessible autrement. Elle oublie le partage, la communion dans l’œuvre qui rompt la solitude humaine et fait communauté. Elle fait l’impasse sur le don, de soi et du monde.

Œuvre d’art, tout texte littéraire porte ainsi une interrogation radicale, dont le titre d’un roman de Michel Tremblay, Un objet de beauté, condense bien le mystère. De même les textes de ce numéro s’offrent comme autant de questions.

Michael Delisle, que nous accueillons à titre de nouvel écrivain en résidence, nous offre un premier carnet qui expose les trous dans le temps d’une relation racontée en pointillé. Ne sont-ce pas ces trous, ou à tout le moins leur ombre, qui fondent l’art contre l’oubli? contre le néant?

Le Laboratoire, qui réunit cette année Danyèle Alain, Hugo Beauchemin-Lachapelle, Denise Desautels, Michèle Plomer, Hector Ruiz et l’artiste Alexandre Masino, pose d’entrée de jeu le lien entre nos perceptions premièresdes jardins, leur « leçon », écrit France Mongeau, et l’écriture. On s’interroge ainsi sur le lieu où loge l’art. Entre temps et espace, dans le geste du jardinier ou dans le regard de celui qui le découvre et en fait une expérience vivante? L’absence et la mort, les apories du temps, toutes sont réactivées par l’intemporalité de l’art, à moins que ce dernier ne se trouve dans l’évanescence de son souvenir. Le jardin, métaphore du monde, est métaphore de l’art. N’est-il pas aussi l’expression d’une communauté?

Les poèmes du numéro interrogent également la beauté : « Quel dieu anciena dispersé les Îles du Bic dans le cercle de l’anse? » demande Paul Chanel Malenfant; celui qui erre dans le labyrinthe avoue y pratiquer le métier le plus beau: « perdre mon temps », écrit François Guerrette; Younes Belouchi la montre fuyante « Puisqu’il paraît qu’on ne peut plus dire la beauté ».

La beauté semble, dans notre numéro, se montrer sous un jour différent selonle genre littéraire pratiqué. Alors que la poésie s’en empare comme d’un trait fulgurant, les récits semblent secréter une beauté sans contrepoint, absolue, tels « La cosmogonie des escargots » de Soledad Lida et l’histoire d’un amour enfantin de Jérémi Doucet dans lequel l’absolue beauté d’un premier amour avalée par un camion est appelée à devenir point cardinal de la mémoire dansla suite du monde. Mais cet absolu de la beauté, qui est la respiration même du monde, reste toujours déjà à conquérir comme doivent s’accorder inspiration de soi et respiration du monde, dans un travail infini du désir qui est aspiration, comme le raconte Célia Chalfoun.

Enfin, l’extrait de la pièce « Péremption(s) » (Marc-Antoine Lamarche et Caroline Somers) illustre la tension entre le rapport sensible à l’art et sa saisie technique. Dans ce dialogue mettant en scène des personnages qui ignorent qui ils sont et des machines, un moment de grâce : le récit de labroderie qui assure à un enfant son ancrage dans le monde. WOW, fait celui/celle qui a écouté. Mais le lien avec cette beauté, et avec le fil d’Ariane identitaire qu’elle porte, se délite sous la pression des explications techniques. Perdant la beauté, on perd toujours plus qu’elle…

En terminant, quelques nouvelles de la revue.

Depuis l’hiver notre équipe s’est transformée. Nous avons une nouvellere sponsable des communications. Rachel LaRoche, à laquelle nous devons la réalisation de notre actuel site web s’en est allée vers des horizons professionnels plus académiques. Nous la remercions de son dévouement à l’endroit de la revue. Marie-Ève Leclerc-Parker la remplace et nous l’accueillons avec plaisir. Virginie Fournier, coordonnatrice à la production et à la gestion, nous a elle aussi quittés afin de consacrer plus de temps à l’écriture; c’est Régis Coursin, que nous accueillons également avec plaisir, qui a pris le relais. Grâce à leur travail, la revue a continué et continue à être bien vivante. Et bien sûr, merci à vous, lectrices et lecteurs, à qui chaque numéro est destiné et sans qui toute la beauté recueillie resterait lettre morte.

Bonne lecture.

 

— Micheline Cambron, au nom du comité de rédaction, composé de Dany Boudreault, Régis Coursin, Gérald Gaudet, Marie-Ève Leclerc-Parker et France Mongeau.