DISPARITIONS, APPARITIONS
Et si la création, qu’il est aisé de penser en termes de présence, d’expression, de visibilité, était aussi (voire essentiellement) affaire de disparition? C’est une question qui émerge à la lecture de ce numéro, dont plusieurs textes interrogent ce qui demeure tapi dans l’obscurité, en retrait, alors que quelque chose d’autre s’avance vers la lumière.
Ainsi Monique Proulx, que nous accueillons avec grand bonheur à titre d’écrivaine en résidence, commence-t-elle sa première livraison pour nos pages avec ces phrases : « Je n’y arrive pas. Il était pourtant question que mon prochain livre soit une manière de récit personnel, où JE serais partie prenante pour raconter quelqu’un d’important.» S’amorçant sur ce faux échec, le texte raconte finement les aléas de la genèse d’un livre autour de sa rencontre avec celle qui fut la voisine de Gabrielle Roy à Petite-Rivière-Saint- François. Pour relater cette vie en minuscules, le moi, pense l’écrivaine, devait demeurer en veilleuse.
Dans un essai en trois temps intitulé Brèves mythologies de l’ombre (élaboré à partir d’un spectacle de Marie Brassard), Daniel Canty loge pour sa part l’essentiel quelque part entre l’invention et l’inexistence: «un point fuyant, où se concentre la certitude increvable de n’être personne. C’est là, contrairement à ce qu’on pourrait croire, que la vie, dans toute sa richesse, recommence à s’affirmer», propose-t-il.
Chez Christophe Charland, les vers soupèsent le pouvoir des images et des mots pour celui qui «voudrai[t] apprendre à tomber / comme les fruits selon une logique sûre ». Ce n’est que progressivement que se dessinent les contours de celui dont il est question dans Peut-être un oncle, où Ellis Dickson épouse la prose des jours pour faire entendre à demi-mot une douloureuse trahison. Dans la suite la rouille d’une crinoline, d’Anthony Lacroix, c’est le baseball qui offre son terrain de jeu au poème interrogeant les possibilités hasardeuses de la rencontre.
Les frontières entre humanité et animalité se brouillent progressivement dans le récit de Mathilde Loranger, lorsqu’un être nouveau fait irruption dans le paysage. Chez la protagoniste de l’histoire signée Frédéric Hardel, une apparition inopinée dans un placard provoque un violent effritement de son environnement familier. Si elle sait s’avancer dans l’obscurité, la littérature se présente parfois comme un abri où l’on espère prolonger la vie de ce qui est menacé, trop vulnérable. C’est le cas chez F. dont le texte se veut élégie pour un lieu chéri aujourd’hui disparu. C’est le cas aussi, sur un versant plus tragique, dans Néoténie, émouvant texte théâtral de Pauline Ben Guigui retenu parmi les soumissions prometteuses reçues à l’occasion du dernier prix Jacques-Crête.
Comme c’est devenu l’heureuse coutume dans nos numéros d’automne, nous sommes ravi.e.s de présenter ici les textes élaborés à l’issue de l’édition 2023 du Laboratoire de l’écrivain.e organisé à l’initiative des Productions Langues pendues. Pour cette septième édition de l’événement, le photographe Bertrand Carrière et les auteur.e.s Nicholas Dawson, Noémie Pomerleau-Cloutier, Karianne Trudeau Beaunoyer et Myriam Vincent, de même que la poète Monique Deland, ont réfléchi, échangé et écrit autour du thème de « L’atelier comme langages et chaos». Espace d’élaboration souvent impensé en littérature, l’atelier devient l’occasion d’interroger les rapports parfois paradoxaux qui se nouent entre les dimensions physique et psychique, extérieure et intérieure, visible et invisible qui constituent le processus, toujours un peu mystérieux, grâce auquel l’œuvre littéraire, comme l’œuvre d’art, prend forme pour enfin se rendre visible.
Interroger le visible, voilà précisément ce que font les photographies d’Angela Grauerholz qui constituent le riche portfolio présenté par Gilles Daigneault. Les images de Grauerholz nous font déambuler dans les salles inhabitées du musée Carnavalet comme en un lieu fantomatique qui, à force d’être vide, devient spectralement peuplé.
Louise Marois (Studio T-bone) a été mise en nomination pour l’un des Prix d’excellence de la SODEP 2024: «Pages intérieures». Nous la félicitons pour cet honneur qui rejaillit sur la revue. Louise Marois a été invitée par Danielle Fournier à prendre la responsabilité de la direction artistique de la revue Les écrits ainsi que de son graphisme au numéro 154, en 2019. Nous lui devons l’actuelle grille graphique et surtout le dialogue vivant entre les œuvres des portfolios et les textes publiés qu’elle sait si bien établir, pour notre plus grand bonheur. Nous saisissons l’occasion de lui réaffirmer le plaisir que nous avons à la compter au sein de l’équipe.
Frédérique Bernier, au nom du comité de rédaction composé de François Édouard Bernier, de Micheline Cambron, de Gérald Gaudet et de France Mongeau.